Alors que la hausse du tarif règlementé de l’électricité a bondi de 25% sur les trois premiers trimestres 2023, le gouvernement français acte la sortie progressive du bouclier. Reviendrons-nous un jour aux tarifs d’avant la crise ?
Au retour des congés d’été, les particuliers et les professionnels faibles consommateurs d’électricité ont eu la désagréable surprise de constater que le prix du kilowattheure (kWh) avait encore pris +10% au 1er août. Avec les 15% déjà enregistrés au 1er février, la hausse pour 2023 atteint désormais les 25%. C’est beaucoup… et même « inacceptable » pour François Carlier, délégué général de l’association de défense des consommateurs CLCV (consommation Logement Cadre de vie), qui rappelle très justement que le gouvernement avait promis en septembre 2022, puis en janvier 2023, que la hausse serait de 15% maxi sur l’ensemble de l’année 2023.
Bouclier éphémère
Si cela peut rassurer, sur la même période, d’autres pays européens ont vu leur prix doublé et même triplé (voir graphique). Si la France a été significativement épargnée, il faut quand même le dire, c’est grâce au fameux bouclier tarifaire. Etabli d’abord à 4% en octobre 2021 et prolongé à ce taux jusqu’au 1er février 2023, puis relevé à 15% au 1er février 2023 (juste après la hausse de +15% du prix du kWh en TRV également effectué le même jour) et prolongé jusqu’en décembre 2023, le bouclier est un dispositif d’urgence mis en place par le gouvernement pour « protéger les Français » contre les hausses des prix de l’électricité. Plus exactement, il s’agit d’une intervention de l’Etat visant à couvrir les surcoûts tarifaires (officiellement au delà de 15% entre le 1er février et le 31 décembre 2023) pratiqués par les fournisseurs d’électricité sur les contrats basés (ou indexés) sur le tarif réglementé de vente (TRV). Ces contrats sont accessibles uniquement pour les particuliers et les professionnels faibles consommateurs bénéficiant d’un compteur dont la puissance de raccordement est inférieure ou égale à 35 kVA. L’électricité n’en devient pas pour autant moins chère ! Le bouclier ne tient que lorsque les finances publiques le permettent. Et pour la France, son coût est estimé à 50 milliards d’euros ! Il s’agit donc d’une charge lourde pour le budget de l’Etat…. et pour le contribuable français. Le bouclier n’est donc pas tenable économiquement et le gouvernement ne l’envisage que temporairement.
Vers une sortie du bouclier
Avec cette hausse conséquente de l’été, il semble bien que le gouvernement prépare clairement la fin du bouclier pour les mois à venir. Lors d’une récente conférence de presse (datant du 14 septembre 2023), la présidente de la Commission de Régulation de l’Energie (qui fixe les TRV « théoriques », à savoir les TRV conseillés couvrant les frais d’achat et de production) indiquent que ceux-ci devraient enregistrer une nouvelle hausse de l’ordre 10 ou 20% en moyenne au 1er février 2024, tout en rappelant qu’« il faut bien séparer le calcul des TRV théoriques de la décision qui est du ressort du gouvernement, à savoir la partie qui est acceptable et la partie qui doit être financée par le budget de l’État. C’est ce qu’il s’est produit cette année. Au 1er février 2023, la CRE, se basant sur les coûts de fourniture de l’électricité sur les marchés de gros, avait calculé une hausse du niveau moyen des tarifs réglementés de l’électricité de 99,22%, mais le gouvernement avait décidé de limiter cette hausse à 15%. ». Dans la même journée, la CRE publiait un communiqué rectificatif : en l’état actuel des choses, la hausse porterait à +10% maxi. En un an, le prix du kWh en TRV devrait logiquement prendre 35%. Le retour à une électricité bon marché n’est donc pas pour 2024.
Une filière nucléaire à relancer
Après les flambées du second semestre 2021 (reprise post-covid) et de l’année 2022 (guerre russo-ukrainienne), le prix de l’électricité sur le principal marché de gros en France (Epex spot) semble se stabiliser autour des 100€ le MWh, bien loin des 20 ou 40€ le MWh qu’on avait connu en 2020 et au début 2021. Le cours actuel, qui montre une certaine volatilité, ne laisse entrevoir aucun signe d’une quelconque tendance à la baisse.
D’autre part, le marché européen de l’électricité, tel qu’il a été conçu à l’origine, est encore dépendant du coût de production des centrales électriques fonctionnant au gaz. Mais alors que le prix du gaz sur les marchés de gros européens a retrouvé un niveau abordable, pourquoi le prix de l’électricité ne fléchit-il toujours pas en France ? Le marché français est tout simplement très dépendant de la filière nucléaire historique (70% de son mix électrique provient du parc nucléaire d’EDF). Entre une production qui reste encore assez poussive (pour 2024, EDF prévoit 315 à 345 TWh contre une capacité estimée à 430 TWh), de lourds investissements qui n’ont pas été faits et un état financier d’EDF assez déplorable, aucun signal positif ne semble indiquer un retour à un prix bon marché. En tout état de cause, les TRV de l’électricité devraient même continuer d’augmenter en France.
Armand Tandeau